Dans un champ silencieux au petit matin, un ornithologue scrute le ciel. Là où, quelques décennies plus tôt, résonnaient les chants de l’alouette, ne plane désormais qu’un vent léger. Cette scène, banale en apparence, est aujourd’hui devenue emblématique d’un phénomène mondial : le déclin massif des populations d’oiseaux. Longtemps considéré comme une hypothèse marginale, ce phénomène est désormais solidement établi par des données quantitatives convergentes provenant des continents européen, asiatique et américain.

Ce déclin touche autant les espèces dites « communes » que les espèces spécialisées. Il affecte tous les milieux : agricoles, urbains, forestiers, littoraux. Il est multifactoriel, anthropique dans son origine, et écosystémique dans ses conséquences. En somme, il s’agit d’un effondrement discret, mais systémique.

Les preuves du déclin : un consensus scientifique

Des programmes de suivi long-terme

Depuis la fin du XXe siècle, plusieurs dispositifs de surveillance ornithologique ont été mis en place à l’échelle internationale. Parmi les plus robustes :

  • PECBMS (Pan-European Common Bird Monitoring Scheme) : enregistre les tendances de population dans plus de 28 pays européens ;

  • STOC-EPS (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) en France : protocole standardisé, géré par le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) ;

  • Breeding Bird Survey (BBS) aux États-Unis et au Canada ;

  • eBird, un programme de science participative mondial soutenu par le Cornell Lab of Ornithology.

Les données issues de ces programmes convergent :
→ En Europe, la population globale d’oiseaux communs a diminué de plus de 20 % en 40 ans (PECBMS, 2021).
→ En Amérique du Nord, près de 2,9 milliards d’oiseaux ont disparu depuis 1970, soit un effondrement de 29 % (Rosenberg et al., Science, 2019).

Une perte de diversité fonctionnelle

Au-delà des effectifs bruts, les ornithologistes constatent un appauvrissement fonctionnel des communautés : les espèces spécialisées (granivores agricoles, insectivores forestiers) déclinent plus fortement que les espèces généralistes. Cette perte de diversité fonctionnelle pourrait altérer durablement les processus écologiques clés : contrôle des insectes ravageurs, dispersion des graines, pollinisation indirecte, recyclage des nutriments.

Un faisceau de pressions convergentes : les causes du déclin

Le déclin des oiseaux ne résulte pas d’une cause unique, mais d’une multicausalité systémique, caractéristique de l’anthropocène.

L’intensification agricole

L’agriculture industrielle, fondée sur l’usage massif d’intrants (engrais, pesticides, herbicides) et sur la mécanisation, a profondément transformé les milieux ruraux. Trois mécanismes sont particulièrement impactants :

La perte d’habitats semi-naturels

  • Suppression des haies, des bosquets, des zones humides temporaires ;

  • Réduction de la complexité structurelle du paysage ;

  • Conversion des prairies en monocultures.

Ces changements ont conduit à une chute drastique de l’entomofaune, principal régime alimentaire de nombreuses espèces nicheuses (bergeronnettes, rougequeues, fauvettes, etc.).

L’effet trophique des pesticides

Des études majeures (Hallmann et al., 2017, PLOS ONE) ont mis en évidence une perte de plus de 75 % de la biomasse d’insectes volants dans les zones agricoles européennes en moins de 30 ans. Cela entraîne un déficit de nourriture pour les oiseaux insectivores, en particulier pendant les phases critiques de nourrissage des jeunes.

L’homogénéisation floristique et la disparition des graines

Les granivores tels que la linotte mélodieuse (Linaria cannabina) ou le bruant zizi (Emberiza cirlus) dépendent des graines de plantes adventices, aujourd’hui éradiquées par les herbicides.

L’artificialisation des sols et la fragmentation des habitats

Chaque année, l’équivalent de plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles ou naturelles sont artificialisés en France.
Les impacts écologiques sont multiples :

  • Perte directe de surface habitable ;

  • Augmentation des bordures écologiques, favorisant les espèces généralistes au détriment des spécialistes ;

  • Isolation génétique des populations via la fragmentation des corridors de dispersion.

Des espèces comme la bécassine des marais (Gallinago gallinago) ou le courlis cendré (Numenius arquata) sont particulièrement sensibles à la disparition des grands espaces ouverts et calmes.

Les pollutions lumineuse et sonore

La pollution lumineuse nocturne (ALAN) perturbe les cycles circadiens, les migrations et les comportements de reproduction :

  • Modification des périodes de chant et d’accouplement ;

  • Dérèglement des horloges biologiques hormonales ;

  • Désorientation des migrateurs (ex. : bécasse, passereaux nocturnes).

La pollution sonore, quant à elle, diminue le succès reproducteur des oiseaux chanteurs. Elle oblige les mâles à modifier la fréquence ou l’intensité de leur chant, ce qui altère la reconnaissance interspécifique et la sélection sexuelle (Brumm & Slabbekoorn, 2005).

Le changement climatique

Le réchauffement climatique modifie la phénologie, la distribution spatiale et la dynamique des populations aviaires :

  • Avancée des dates de ponte sans synchronisation avec les pics de disponibilité alimentaire (ex. : mésange charbonnière et chenilles de Tortrix viridana) ;

  • Déplacement vers le nord des aires de reproduction, avec perte d’habitat pour les espèces de montagne ou boréales ;

  • Multiplication des événements extrêmes (canicules, sécheresses) affectant la reproduction ou la survie post-juvénile.

Le concept de mismatch trophique, développé par Both et al. (2006), est central pour comprendre les effets du climat sur le succès reproducteur.

Des ailes menacées : comprendre les causes du déclin massif des oiseaux

Des conséquences écologiques profondes

La disparition des oiseaux entraîne une altération de plusieurs fonctions écosystémiques essentielles :

Fonction écologique Rôle aviaire Risque associé au déclin
Contrôle biologique Insectivores Prolifération de ravageurs
Dispersion de graines Frugivores (grives, étourneaux) Ralentissement de la régénération forestière
Épuration sanitaire Rapaces, charognards Accumulation de cadavres, zoonoses
Services culturels Espèces symboliques ou patrimoniales Appauvrissement des imaginaires, perte de lien au vivant